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En 2022, la présidence du Conseil italien est revenue à Giorgia Meloni, membre du parti issu de mouvements post-fascistes, Fratelli d’Italia, au sein d’une coalition réunissant les trois partis les plus à droite du pays (Fratelli d’Italia, La Legua et Forza d’Italia). La même année le Cnajep s’engageait dans une démarche afin de mieux lutter contre les discours de haine et de repli sur soi qui sont en expansion dans toute notre société, et n’épargnent pas les associations de jeunesse et d’éducation populaire.
En mars 2024, dans le cadre de la formation du Cnajep, des participant·e·s se sont rendu·e·s à Rome, avec pour objectif de se questionner, et questionner nos partenaires italiens, sur les conséquences de l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Meloni.
Nourri·e·s de nos échanges, le but est de produire un argumentaire pour le contexte français afin de soutenir les structures d’éducation populaire dans la lutte contre les idées des extrêmes droites. Le groupe était composé de professionnel·le·s et bénévoles de l’éducation populaire, d’horizons variés, qui avaient déjà entamé une réflexion sur le sujet en suivant un parcours de formation en 2023. Sur place, ce sont les membres du Centro di Servizio per il Volontariato, CSV Lazio et des Céméa del mezzogiorno, qui nous ont accueilli·e·s et ont organisé plusieurs rencontres sur des thématiques clés.
Différents points nous ont été partagés pendant ce séjour et ont fait l’objet d’échanges avec des membres de structures associatives romaines. Loin d’être exhaustifs, nous vous en livrons ici quelques-uns :
Les procédures d’accueil des personnes migrantes sont accélérées et donc d’avantage soumises à la discrétion des agents, et une dérogation à la capacité « maximale » des centres d’accueil est mise en place, portée jusqu’au double de celle prévue initialement. L’assistance psychologique, les cours d’italien, l’orientation juridique et l’orientation vers d’autres territoires sont éliminés des centres d’accueils, qu’ils soient gouvernementaux ou privés. L’absence d’une politique d’accueil qui comprenne un accompagnement à l’apprentissage de la langue induit un fort isolement des personnes arrivantes et représente une grande privation de liberté, car elle enferme les personnes dans leurs communautés linguistiques et bloque toute possibilité de rencontre. Les bénévoles de la Casa dei Dritti Sociali propose alors des cours d’italien, ouverts à toutes et tous sans aucun pré-requis (document, statut…).
Dans son quotidien de militante d’éducation populaire dans des quartiers prioritaires de Rome, notre interlocutrice Cristina Brugnano des Céméa del Mezzogiorno, a surtout pointé l’autorisation collective que tout le monde s’octroie de tenir des propos racistes, xénophobes, ou nostalgiques du fascisme. On observe en Italie la reprise dans le quotidien des idées véhiculées par les « récits toxiques » proposés par l’extrême droite. Ce concept de récit toxique nous a été partagé par Veronica Riccardi de l’Université Roma Tre, et correspond à une histoire racontée toujours du même point de vue, de la même manière et avec les mêmes mots, en omettant toujours les mêmes détails et en supprimant les mêmes éléments de contexte et de complexité, pour simplifier la réalité et justifier les oppressions.
La présence militaire dans les établissements scolaires n’est pas nouvelle, mais, selon l’Observatoire contre la militarisation des écoles (Osservatorio Contro La militarizzazione delle scuole) il y a une augmentation des invitations faites par les chef·fe·s d’établissement aux militaires pour venir dans les écoles, pour des temps de sensibilisation ou des interventions liées aux stupéfiants par exemple. Cela s’accompagne également de d’avantage de sorties proposées directement en caserne, et d’une publicité toujours plus grande au moment des choix d’orientations pour l’armée. L’observatoire a mis à disposition sur son site un vade-mecum contre la militarisation des écoles, accompagné de modèles pré-remplis de lettres permettant aux parents ou enseignant·e·s d’interpeller les chef·fe·s d’établissement afin d’empêcher par exemple la venue de militaires.
Anna D’Auria, Membre de la FIMEM (Fédération Internationale des Mouvements d’École Moderne) et du CMC, nous a fait un état des lieux des mesures prises concernant l’éducation par le gouvernement Meloni. L’école prônée par Giuseppe Valditara, ministre de » l’Éducation et du Mérite » (ministère renommé par le gouvernement de Meloni) est basée sur la sélection, la performance et l’humiliation est vue comme un outil pédagogique.
« Vive l’humiliation, c’est un facteur de croissance fondamental » – Giuseppe Valditara, ministre de l’Éducation et du mérite, au sein du gouvernement Meloni depuis 2022.
L’école prônée par Giuseppe Valditara, ministre de » l’Education et du Mérite » (ministère renommé par le gouvernement de Meloni) est basée sur la sélection, la performance.
Les mesures prises tendent à subordonner l’école au marché par une procédure d’orientation très tôt et l’ouverture des apprentissages techniques avec une co-conception pédagogique avec les entreprises. Un exemple de cette volonté de lier école et entreprise est le lycée Made In Italia.
Par ailleurs, certaines pratiques traditionnelles en Italie d’auto-gestion par les élèves de leur établissement pendant quelques jours dans l’année se voient désormais interdites. Une loi sur la sécurité du personnel scolaire est en cours et la mise en place d’une note de bonne conduite pour les élèves est à l’étude. La régionalisation, sous la forme d’une autonomie différenciée, est de nouveau en discussion pour les programmes et la gestion du scolaire. La régionalisation, sous la forme d’une autonomie différenciée, est de nouveau en discussion pour les programmes et la gestion du scolaire. Ce qui pourrait recréer des inégalités régionales très fortes, dans une Italie qui a déjà des fortes disparités historiques, notamment entre le Sud et le Nord du pays. Enfin, la fusion de plusieurs établissements complique la gestion et la mise en place de projets par les équipes éducatives.
Une des premières mesures du gouvernement italien a été d’interdire les rassemblements et les rave party. La répression violente des mouvements étudiants marque également le mandat de Meloni. Cela nous a été rappelé par les militant·e·s de Spin Time, bâtiment occupé au cœur de Rome, qui abrite à la fois des logements et une partie ouverte au public avec différentes actions socio-culturelles : un théâtre, un bureau de soutien administratif et d’accès au droit, un espace de travail partagé, une cantine etc.
Cette visite a été l’occasion de nous rendre compte de l’importance des lieux occupés en Italie, où de nombreux centres sociaux et socio-culturels sont des occupations tolérées par l’État car en charge de missions d’utilité publique. Au moment de notre venue, des étudiant·e·s étaient dans le hall en train de peindre une banderole pour alerter sur la grande précarité des étudiant·e·s dans l’attente de leurs bourses, ce qui nous rappelle l’importance de l’existence de lieux dans lesquels se retrouver pour échanger et préparer des actions ou projets. Spin Time est sur la liste gouvernementale des occupations à fermer au plus tôt, mais la ville de Rome est plus protectrice et a même affirmé vouloir acheter le bâtiment. Pour l’instant, le futur du lieu est en suspend mais les activités continuent.
Les militantes que nous devions rencontrer, du mouvement Non Una di Meno, n’étaient malheureusement plus en capacité de nous rejoindre. La dernière étape de notre séjour a alors été la manifestation pour les droits des femmes du 8 mars.
En parallèle de ces temps de rencontres, nous avons travaillé en groupe pour approfondir notre réflexion et nos attentes en termes d’outillage en utilisant plusieurs méthodes : ateliers, arpentage, théâtre forum. Tous les échanges avec les personnes rencontrées, associés aux temps de travail en groupe, nous serviront de base pour la conception d’argumentaires du Cnajep. Encore un grand merci au du Centro di Servizio per il Volontariato Lazio pour leur accueil, et particulièrement à Claudio Tosi, et à toutes les personnes rencontrées pour les échanges.
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